Homélie du Père Stan Rougier – Saint Jean de Luz – Dimanche 23 août 2020

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POUR TOI, QUI SUIS-JE ?

Jésus de Nazareth, prophète galiléen, n’a cessé d’élever l’Homme au-dessus de lui-même. Chacun de nous pourrait lui dire : « À mesure que Tu parles, j’existe. Lorsque Tu me confies une mission, je découvre qui je suis. » En Jésus, Dieu S’est émerveillé de l’Homme.

On peut trouver Jésus déroutant. Il est en contraste permanent. Transfiguré, éblouissant de lumière en présence de Moïse et d’Élie et, peu après, à genoux lavant les pieds de ses amis.

Pour révéler à l’Homme le sens de son existence, Jésus enseigne la tendresse, le pardon, la miséricorde, les béatitudes. Pour s’adresser au Dieu transcendant du Sinaï, au Dieu trois fois Saint, il utilisait le mot « Papa » des petits enfants.

Jésus a magnifié la tendresse, qui libère de tout défaitisme, de tout « à-quoi-bon ? ». Il n’y a pas de tombeau si solidement fermé qu’il ne cède sous la poussée de l’Espérance. Désormais la mort n’est plus la mort, la mort n’est plus la fin, elle n’est qu’une brève étape. La vie triomphe. De l’amour jaillissent la joie et la vie. « On ne voit bien qu’avec le cœur » (A. de Saint Exupéry). « La seule mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure » (saint Bernard).

Des multitudes réduisent Jésus à de belles figures au panthéon des mythes, comme celle d’Achille dans la Guerre de Troie, ou de Spiderman dans des tragédies plus modernes. Elles font du Créateur un très banal Père Noël sans véritable message.

D’innombrables faussaires ont déformé son Visage. Ces caricatures font de lui un homme sensible et généreux, mais la vérité va bien plus loin. Plus proches de cette vérité-là l’immense variété des témoins qui ont fait rayonner son message : Jean de la Croix en Espagne, Michel Garicoïtx au Pays basque, Vincent de Paul dans les Landes, Charles de Foucauld, Thérèse de Lisieux, Oscar Romero au Salvador, Mère Teresa en Inde, les moines de Thibbirine, le colonel Beltrame et tant et tant d’autres…

Ne jugeons pas le lion sur ses puces ! Ne jugeons pas Jésus sur les trop pauvres messagers que nous sommes souvent… Jésus n’est pas une « figure légendaire », si belle soit-elle !

Cet homme unique, capable de nous ressusciter, mérite que nous apprenions à Le connaître pour que notre réponse soit plus ardente à sa question si brûlante : « Pour toi, Qui suis-je ? ». Suis-je un « doux prophète malchanceux », comme le présente un professeur athée, Ernest Renan ? ou bien « l’image du Dieu invisible », comme l’enseigne saint Paul ?

Dix fois, vingt fois, Jésus se définit Lui-même : « Je suis la Résurrection et la Vie » (Jn 11, 25), « Je suis la Lumière du monde » (Jn 8, 12), « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).

Ses paroles sont le « levain dans la pâte » (Mt 13, 33), « le sel de la terre » (Mt 5, 13).

Il est le Visage humain de Dieu : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9).

Il est le Visage divin de l’homme.

Découvrir le vrai Visage de Jésus Christ n’est pas une affaire à simple taille humaine. Si Pierre hasarde une bonne réponse, il ne l’a pas trouvée tout seul, remarque Jésus. « Nul ne vient à moi si le Père ne l’attire » (Jn 6, 44).

Que de portraits de Jésus aujourd’hui peuvent alimenter notre foi : Jésus-Dostoïevski, Jésus-Pasternak, Jésus-Tolstoï, Jésus-Proudhon, Jésus-Delteil, Jésus-Gallo, Jésus-Petitfils… il y en a des centaines.

Inversement, il suffit de très peu pour nous tromper de Dieu. Une mauvaise traduction et voilà l’image d’amour qui s’éteint. Faire dire à Jésus à Cana : « Femme qu’y a-t-il entre toi et moi ?  » au lieu de « Sommes-nous concernés ? » et voilà la Tendresse de Dieu transformée en sécheresse de cœur. Avez-vous vu le film de Pasolini, « L’Évangile selon saint Mathieu », où il montre Jésus comme un portrait de Lénine ? Il est là tellement violent qu’il nous détourne de la foi. Dans un roman de Dostoïevski, Jésus revient sur terre au temps de l’Inquisition. Le Grand Inquisiteur le fait arrêter et l’interroge : « Pourquoi es-tu venu nous déranger avec l’intolérable désordre de l’amour ? »

Combien compte-t-on de chrétiens sur terre ? D’après les registres : deux milliards. Mais la plupart ne reconnaissent de lui qu’un pan de son manteau. Cela donne envie de reprendre en chœur ce chant d’église d’il y a quelques années : « Je cherche le Visage du Seigneur, qu’avez-vous fait de Lui ?»

En écrivant « Dieu est Amour », saint Jean a dit l’essentiel, même si derrière la réalité de l’amour, nous ne discernons pas tous la signature de Jésus.

Il est bien des athées qui sont admirables. Ce n’est pas leur part d’incroyance qui les rend magnifiques, mais ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font, pour « prendre soin », pour partager, pour accueillir. En Syrie, au Liban, de nos jours, les appels à la fraternité ne manquent pas…

Devant toute mauvaise conduite, nous jugeons sévèrement. Toi, Jésus, tu vois ce qui se cache de mal-être, de solitude, de manque d’amour. Qu’il s’agisse de la pécheresse chez Simon ou du collecteur d’impôt nommé Zachée… chacun peut se voir beau dans tes yeux. Tu t’émerveilles de la confiance de cette païenne anonyme venue te prier de guérir sa fille, et même de la confiance d’un centurion de l’armée d’occupation…

Une vocation a été donnée à l’Homme, plus exaltante que tout projet : « Soyez pour chacun de vos frères humains ce que la lumière et l’eau sont pour les plantes. »

Tout se résume en cette invitation si chère au pape François : « Prenez soin ! » Prenez soin de l’autre ! Prenez soin de la maison commune ! …

Si « Dieu S’est fait homme pour que tout homme soit fait Dieu », c’est pour nous faire entrer dans une formidable aventure. Il faudra bien une métamorphose, semblable peut-être à celle du papillon. Jésus nous appelle à cette conversion.

Et comment nous appelle-t-il ? Comme pour Simon, il ne nous appelle pas par notre prénom, mais en nous donnant notre véritable identité, qui est celle de notre mission sur terre. Il ne dit pas à Simon « Tu es Simon », mais « Tu es Pierre ». En faisant cela, il libère Simon des étiquettes qui pouvaient lui coller à la peau, celle sans doute du brave pêcheur sur le lac de Tibériade, pour l’appeler à sa véritable identité, celle de pierre angulaire de la nouvelle Église, l’Église de l’Amour. Et c’est à nous tous ici dans cette assemblée que cet appel s’adresse aujourd’hui : Qui suis-je vraiment ? Quelle est ma mission sur Terre ? À mesure que Jésus me désigne ma mission, je découvre qui je suis.

Stan Rougier

Pour aller plus loin : « Pour vous qui suis-je ? », Stan Rougier, chez Mame, 2013. Votre opinion m’intéresse. Je serais heureux de pouvoir poursuivre le dialogue avec vous : stan.rougier@orange.fr

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